dimanche 27 décembre 2015

"La lettre à Lulu" croque Brigitte Lamy


Pour fêter ses 20 ans d’existence, le journal satirique nantais La lettre à Lulu, dont le directeur de la rédaction n’est autre que Nicolas de la Casinière, également journaliste à Libération, fait sa fête à Brigitte Lamy, procureure de la République de Nantes, dont j’ignore encore si la plainte qu’elle déposa contre moi il y a 3 mois pour "injures publiques" sera classée par le parquet de Saint-Nazaire ou si elle me vaudra un procès en bonne et due forme.
D’après la linguiste Dominique Lagorgette, grande spécialiste française de l’injure et des noms d’oiseaux, ce procès serait perdu d’avance pour la plaignante, d’autant que la totalité de mon papier est poursuivie. (C’est ce vice de procédure qui m’avait valu, en 2009, de gagner un procès en diffamation contre l’Opus Dei.) Cela dit, les voies du Parquet étant parfois aussi impénétrables que celles des fous du Seigneur, ne vendons pas la peau de l’ours… Je devrais être fixé fin janvier 2016, date de la clôture de l’instruction par la procureure de la République de Saint-Nazaire.
La lettre à Lulu rappelle comment Facebook refusa de donner aux enquêteurs l’identité des responsables du site Nantes Révoltée, qui avait, le premier, publié une affiche présentant Mme la proc’ les mains tachées de sang, et n’a pu, pour cette raison, être poursuivi. De même que n’ont pas été poursuivis la dizaine d’autres médias ayant repris ladite affiche (dont Le Parisien).
On peut télécharger ce (magnifique) numéro contre la modique somme de 3€ en cliquant ICI.

mercredi 18 novembre 2015

"Le dernier continent", un film de Vincent Lapize sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes


Du printemps 2012 au printemps 2014, Vincent Lapize s’est immergé au cœur de la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame-des-Landes, où se sont installés des opposants au projet d’aéroport, des citadins devenus cultivateurs (boulanger, technico-commercial, carrossier, employée de musée), qui vivent en bonne intelligence avec des paysans du coin.
Contrairement à ce qu’affirme l’un des plus vitupérants défenseurs de l’aéroport, le très excité patron du conseil général de Vendée Bruno Retailleau, oui, les écologistes peuvent cultiver autre chose que du cannabis ! On les voit ici cultiver patates, choux, poireaux, salades, leur permettant de se nourrir et d’échapper aux aberrations de cette société du gâchis et de la surconsommation. Ils cultivent aussi une autre façon d’envisager leur rapport au monde, rappelant à celles et ceux qui en douteraient qu’il est tout à fait possible de concrétiser le mot "utopie", qui signifie littéralement, rappelons-le, "un tel lieu n‘existe pas". Même si, comme l’affirme l’un des "zadistes", "la ZAD n'est pas un territoire, c’est la matérialisation d’un changement de la société."
Le dernier continent allie l’intelligence des dialogues (les visages, mais aussi les mains, un peu abîmées – c'est le métier qui rentre !), la beauté farouche des paysages filmés en plans larges, avec le bruit du vent, le passage presque surnaturel d’un renard en maraude, et en arrière-plan la menace des forces de l’ordre venues exproprier à coup de pelleteuses et de bulldozer les squatteurs (l’État a vendu les terres à la société EGO, filiale de Vinci).
Une excellente critique du film sur le site Avoir à lire.com.

jeudi 22 octobre 2015

Et si le délit d’outrage était chassé du Code pénal grâce… à Henri Guaino ?

Non, ce n’est pas une blague, et je n’ai pas fumé mon dernier plant de peyotl ! Cette alternative, qui paraissait incongrue jusqu’à hier, est tout à fait envisageable depuis que la cour d'Appel de Paris a condamné Henri Guaino à 2.000 euros d'amende pour outrage. Guaino, qui avait été relaxé en première instance, à l’issue du procès épique qui l’opposa au juge Jean-Michel Gentil, que j’avais suivi pour L’Humanité, et au cours duquel il me confia, sous l’œil éberlué du député-judoka David Douillet, dont les neurones avaient été mis à mal par des débats tempétueux : "Il faut supprimer le délit d’outrage !"
     Il suffirait pour cela :
– que Henri Guaino soit de nouveau condamné en cassation
– qu'il se tourne vers la Cour européenne des droits de l'Homme

– que celle-ci, comme elle l'avait fait pour le délit d’offense au chef de l’État, grâce au camarade Hervé Éon et à l'affaire "Casse-toi pov’con!", condamne la France

– que les parlementaires français soient contraints, comme ils l'ont fait pour le délit d'offense au chef de l’État, de supprimer l'absurde, inique et obsolète délit d’outrage.
On en reparle fin 2016, début 2017. 

L'annulation de la condamnation de Henri Guaino par la cour de Cassation rend caduc cet article. [mise à jour du 17 nov. 2016] 

vendredi 16 octobre 2015

Lettre ouverte à Brigitte Lamy, procureure de la République à Nantes, par Eric Chalmel

C'est magnifiquement écrit, magnifiquement juste, et c'est à lire sur le blog de Eric Chalmel, Les états et empires de la lune.
Le soutien de Serge Quadruppani sur son blog Les contrées magnifiques est à lire ICI.

lundi 12 octobre 2015

Compte-rendu d'audition du suspect Jean-Jacques Reboux, poursuivi pour injures publiques par Brigitte Lamy, procureure de la République de Nantes

Jeudi 1er octobre 2015, j'ai été auditionné pendant 3h30 par le lieutenant Patrick L. de la PJ de Nantes, dans le cadre de la plainte pour "injures publiques", déposée contre moi par Brigitte Lamy, procureure de la République de Nantes. Cette affaire, qui fait suite à un article publié le 9 avril 2015 sur mon blog [LIRE ICI], a été dépaysée au parquet de Saint-Nazaire.
Cette audition appelle de ma part trois réflexions.

L'affiche interdite
1°) C'est une affiche placardée sur les murs de Nantes les 15-16 avril 2015 qui a décidé Brigitte Lamy à porter l'affaire devant la justice, en s'attaquant au site Nantes Révoltée, qui a reproduit l'affiche. Quelques mois plus tard, Mme Lamy portera plainte contre moi, en tant qu’auteur d’un article illustré par une reproduction de ladite affiche (dont j'ignorais qu'il s'agissait d'une affiche, mon papier étant antérieur de 6 jours au placardage).
Nantes Révoltée étant hébergé sur Facebook, les enquêteurs de la police française se sont adressé à l'hébergeur, afin de connaître l'identité du responsable de cette page. Le siège juridique de Facebook étant situé aux Etats-Unis, où le délit d'injures publiques n'existe pas, Facebook a refusé de communiquer l'identité du responsable de Nantes Révoltée. Bien que l'enquête de police ne soit pas tout à fait terminée, la plainte de Brigitte Lamy contre Nantes Révoltée sera vraisemblablement classée sans suite. Le seul site poursuivi reste donc le blog d’un citoyen ayant témoigné à visage découvert, sans se camoufler derrière un alias.

2°) Dans le rapport de la procureure de la République de Saint-Nazaire, qui instruit la plainte de sa consœur nantaise, la totalité de mes propos est globalement mise en cause, ce qui laisse supposer que tout l’article serait injurieux, y compris lorsque j'écris : Lunettes customisées, boucles d’oreilles fantaisies pour égayer le sourire un peu triste, Brigitte Lamy pourrait être une Française ordinaire, une brave dame qui en bave dans la vie, épicière à Vallet, boulangère à Mauves-sur-Loire, caissière à Saint-Herblain. Une dame avec qui on serait tenté de s’attarder si on la croisait dans la rue ou au marché, vêtue d’une blouse ou d’un tailleur vintage.

4 jeunes gens mutilés pour raison d’État
3°) L'OPJ m'ayant auditionné m'a certifié que Quentin Torselli (le plus gravement atteint des blessés de Nantes, qui a, rappelons-le, perdu l'usage d'un œil) se trouvait à proximité d'un groupe de casseurs, alors que les images vidéos ont prouvé qu'il s'en tenait éloigné, qu'il ne marchait pas et se tenait debout, les mains dans les poches. La chose a son importance dans la mesure où elle justifie pleinement la formule à l'emporte-pièce utilisée dans mon article : "que des jeunes gens se fassent crever un œil dans la rue en se faisant tirer comme des lapins par des policiers, (…) des flics fascistes qui tirent les manifestants pacifistes comme des lapins. Ce qui ne serait pas le cas si Quentin Torselli s'était trouvé dans le groupe des "casseurs" (comme le prétend l'OPJ Patrick L., qui n'aura de cesse de me répéter que, dans une manifestation, un agent de la force publique "ne peut pas viser la tête des manifestants car c'est matériellement impossible à cause de la pression physique [de la manif] qui empêche de se concentrer." Ce qui revient à dire que c'est totalement par hasard que les balles arrivent à la tête. (Vital Michalon, Malik Oussekine, Rémy Fraisse et quelques autres sont là – ou plutôt ne sont plus là, hélas – pour prouver le contraire.)

Lors de ma déposition, j'ai reconnu :
- avoir écrit cet article par solidarité avec les victimes des violences policières, en particulier Quentin Torselli, dont je connais la famille, dans un réflexe épidermique de citoyen choqué que l'on puisse, en France, se faire crever un œil dans une manifestation et que la plainte des victimes ait été classée par une procureure dont le journal Ouest-France avait vanté "l'éthique exigeante"
- l'avoir écrit en m'inscrivant dans une tradition de liberté d'expression volontiers satirique, dans un pays réputé pour être celui des "droits de l'homme"
- ne pas avoir eu l'impression d'avoir injurié Mme Lamy, ni d’avoir porté atteinte à l'autorité judiciaire
-  m’étonner du fait qu'un magistrat, après avoir censuré le débat sur les violences policières en classant six plaintes des victimes de violences policières, utilise la coercition pénale à l'égard d'un simple citoyen, ce qui provoquera la poursuite du débat autour d'un procès
Lanceur de balles de défense (crève les yeux des manifestants)
Un appel à soutien figure sur cette page Facebook ICI.
Jean-Jacques Reboux, 12 octobre 2015

mercredi 23 septembre 2015

Brigitte Lamy, procureure de la République de Nantes, me poursuit pour "injures publiques"

4 jeunes mutilés pour raison d’État

Brigitte Lamy, procureure de la République de Nantes, a peu goûté le portrait que je dressais d’elle ICI-MÊME le 9 avril 2015, après qu’elle eût décidé de classer sans suites les plaintes de victimes de violences policières lors de la manifestation du 22 février 2014 contre l’aéroport N-D-des-Landes (au cours de laquelle des manifestants eurent les yeux crevés par des tirs de flash-ball). Elle vient de m’assigner en justice pour "injures publiques".
Je suis convoqué à la PJ le 1er octobre. Compte-rendu d’audience ICI. Il appartiendra ensuite au Procureur de la République de Saint-Nazaire (où cette affaire a été dépaysée) de décider s’il poursuit le délinquant multirécidiviste que je suis ou s’il classe l’affaire.
Ci-contre, dessin paru dans La lettre à Lulu n°90-91 (décembre 2015).

mardi 25 août 2015

Dans la France descendante des sans-dents : "Monsieur, vous n’avez plus le droit à la CMU, je suis obligé de vous arracher votre bridge !"

Dessin de Rodophe Urbs

Le 18 mai 2015, il m’est arrivé une histoire traumatisante, qui en dit long sur notre merveilleuse société capitaliste : un dentiste m’a arraché de la bouche le bridge qu’il venait tout juste de me poser, au motif imparable que je n’avais plus le droit à la CMU (couverture maladie universelle) – je fais, en effet, partie des 5 millions de Français bénéficiaires de ce dispositif inventé à une époque où la gauche était encore un peu de gauche, destiné à aider les pauvres à se soigner, accessoirement à les empêcher de se révolter et… de tout casser.
Après que j’aie menacé de me jeter par la fenêtre, puis d’alerter les médias (la première alternative conduisant automatiquement à la seconde), la responsable du 5e étage du centre dentaire Opéra (31 rue Caumartin 75009 Paris), une certaine Mme Chader, ordonna au dentiste (Dr Marcel Wizel) de replacer le bridge dans ma bouche, après lui avoir ordonné une heure plus tôt de me l’arracher. Celui-ci s’exécuta de mauvaise grâce, négligeant de nettoyer le ciment collant mon bridge à la gencive, ce dont je ne me rendis compte que trois semaines plus tard, après une sévère infection de la dite gencive.
Comme il paraît que tout ce qui ne tue pas rend plus fort, que cette histoire s’est terminée de façon "heureuse" (pour acheter mon silence, on m’a fait grâce des 1.200 euros m’incombant et j’ai retrouvé mon sourire de jeune homme de 56 ans) et que je ne suis vraisemblablement pas le seul à qui pareille mésaventure est arrivée dans notre beau pays, plutôt que d’engager de coûteuses poursuites judiciaires, j’ai décidé de la rendre publique. Étant donné que j’exerce depuis peu la profession de scribe et que mon statut (précaire, pour ne pas dire pourri) d’auto-entrepreneur, est directement à l’origine de cette mésaventure, j’ai décidé de la raconter sous la forme d’une fable, intitulée Les sans-dents malades de la crise. J’insiste sur le fait que tous les dialogues sont rigoureusement authentiques.

Les sans-dents malades de la crise (fable)


Le président des "sans-dents"
Il était une fois un pays, qu’on appelait le "pays des 365 fromages", dirigé par un président tellement humble qu’il portait le nom d’un petit pays voisin très plat et très pauvre, ne possédant que deux ou trois malheureuses variétés de fromages pasteurisés. Le président entretenait une concubine qu’il chassa un jour de son palais pour une autre, beaucoup plus jeune, pour des raisons qui ne nous regardent pas. Pour se venger, la répudiée révéla, dans un livre qui lui rapporta beaucoup d’argent, que le président méprisait les pauvres au point de les affubler du sobriquet de "sans-dents", ce qui constituait un changement radical avec le style de son prédécesseur, un petit homme d’État obnubilé par l’argent, qui traitait les pauvres (et tous ceux qui, d’une façon générale, n’aimaient pas ses manières de voyou) de "pov’cons".
Futur "sans-dents" s’instruisant
Dans ce pays, vivait un garçon qui voulait être écrivain. Tout petit, ça le titillait. Quand il guettait l’œuf à la sortie du trou de balle des poules, il ne pensait qu’à ça : un jour, ma cocotte, j’écrirai des histoires, je raconterai comment l’une de tes lointaines ancêtres pondit l’œuf primordial. Le garçon était tellement timbré que, devenu adulte, il devint postier. Du temps passa (beaucoup). Le garçon tint la promesse faite à la poule de son enfance. Il écrivit des poésies, des nouvelles, des romans, des feuilletons, des essais, une autobiographie romancée parue chez un grand éditeur, qui préféra la saborder car il avait un Houellebecq et un Picouly sur le feu, des livres-canulars, poussant la perfection jusqu’à se faire arrêter par la police devant le palais de l’Élysée pour se faire de la réclame, en se faisant passer pour Fernand Buron, le pov'con du salon de l’Agriculture.
Les gens aimaient bien ses livres, rigolos, déjantés, mais comme il n’en vendait pas suffisamment pour gagner sa croûte, après s’être essayé à moult métiers, l’écrivain devint scribe. Au lieu d’inventer ses propres histoires, il retranscrivit des colloques, des séminaires, des conseils d’administration, des conseils municipaux, des comités d’entreprise, des machins paritaires, des réunions ministérielles ultrasecrètes et autres messes basses dont il n’avait pas le droit de parler, etc.
Ce boulot de larbin n’était pas très gratifiant pour son ego d’écrivain mais au moins gagnait-il de quoi casser la croûte ; ce qui nécessite d’avoir de bonnes dents. Hélas, par un curieux effet-miroir, que la science n’est à ce jour pas parvenue à expliquer, l’admiration maladive pour les poules avait singulièrement appauvri l’état de la dentition de notre scribe, qui entreprit donc de se faire poser un bridge, en partie financé par la CMU car il vivait sous le seuil de pauvreté (ce qui est certes moins violent que de vivre sous les ponts mais n’est guère plus enviable, comme le rappelait fort justement le grand comédien Jean Rochefort en 2013)Cela fut long et délicat, mais tout se passa bien.
Jusqu’à l’apothéose, ce 18 mai 2015…

Au moment de cimenter le bridge de douze dents qu’il venait de poser trente minutes plus tôt, coup de théâtre ! D’un geste très professionnel, tel le mage Albert Dupontel au sommet de son art, le dentiste ARRACHA l’appareil.
– Désolé, monsieur, je ne peux pas vous laisser repartir avec votre bridge car vous n’avez plus le droit à la CMU. Je suis d’autant plus navré que c’était vraiment un très beau bridge, ajouta-t-il à l’attention de son assistante.
Le scribe, qui n’avait même pas eu mal, crut que c’était une farce (il avait constaté auparavant que le dentiste ne manquait pas d’humour) mais il n’en était rien. L’homme en blouse blanche qui lui faisait face n’était ni le mage Dupontel, ni un disciple de François Damiens.
– La directrice du centre ne veut pas que je vous laisse repartir avec votre bridge, expliqua benoîtement le praticien, qui ne s’appelait pas Benoît, mais Marcel.
C’est qu’entretemps, contraint de devenir auto-entrepreneur pour avoir un numéro de SIRET et se faire payer ses "missions", le scribe avait changé de statut social. Il ne dépendait plus de la CAF en tant que chômeur, mais de la RAM, qui gère la couverture santé des travailleurs indépendants (RSI), et on ne l’avait pas prévenu en temps et en heure que sa CMU n’était plus valable depuis le 30 avril (et nous étions le 18 mai).
Outragé, brisé, martyrisé, pas du tout libéré bien que connaissant son De Gaulle sur le bout des doigts, le scribe se plaignit auprès de la directrice du centre dentaire, qui lui confirma les dires du dentiste, – ce qui tendrait à prouver que l’expression populaire "menteur comme un arracheur de dents" est abusive.
– Monsieur, vous n’avez plus le droit à la CMU depuis le 30 avril. Il est donc normal que l’on vous ait retiré votre bridge.
Le scribe protesta de sa bonne foi. Il avait ravoir la CMU, c’était une question de semaines. Pourquoi lui enlever un bridge qui, de surcroît, ne pourrait servir à personne d’autre ? Rien n’y fit. La dame demeurait inflexible.
– Désolé, monsieur. Je ne peux pas vous laisser repartir avec votre appareil.
Perdant toute considération de bienséance et de savoir-vivre, le scribe (élevé, comme vous le savez, à la campagne avec les poules, ce qui n’est pas le meilleur endroit pour apprendre les bonnes manières) se laissa tomber par terre en serrant les poings, réprimant une furieuse envie de tout casser, et finit par… éclater en sanglots.
– Vous voulez quoi, madame ? Que je me jette par la fenêtre ? Ce serait le seul moyen pour moi de repartir sans mon bridge ! Je veux mon bridge. Même si je dois emprunter de l’argent pour payer… (etc, etc)
Une collaboratrice de la directrice, alertée par les cris effrayants du scribe, qui ressemblaient à s’y méprendre à ceux d’un micropachycéphalosaurus en état de transe, lui tendit généreusement un verre d’eau et lui demanda de se calmer.
À ces mots, le scribe ne se sentit plus d’effroi. Il ouvrit un large bec et laissa tomber sa proie… euh, pardon, son émoi :
Selfie sans les dents
 Me calmer ?! Mais vous avez vu ma bouche, madame ? Vous voulez que je reparte avec cette gueule-là ! Vous vous foutez de moi ?
– Ne vous mettez pas dans cet état, monsieur ! rétorqua la consœur. Il y a des choses plus graves ! [Authentique.]
– Ce n’est pas moi qui me suis mis dans cet état, madame ! Je vous préviens que si je repars d’ici sans mon bridge sans passer par la fenêtre, je ferai un scandale, j’alerterai les médias, le ministère de la Santé*, le président de la République, s’il le faut, puisqu’il s’intéresse aux sans-dents… Vous devriez avoir honte d’agir comme ça !
La directrice, dépitée, s’activa sur son ordinateur.
– On va trouver une solution, monsieur. Calmez-vous.
– Arrêtez de me dire de me calmer, s’il vous plaît.
La solution consistera à antidater les soins avant la fin avril pour les faire entrer dans la case CMU. Retour chez le praticien, qui remit le bridge en place, de (très) mauvaise grâce, alors que les effets de l’anesthésie se diluaient en une douleur autant psychique que physique.
– Quand même, c’est violent, marmonna le scribe, une fois l’objet remis en place. Je n’y peux rien si ma CMU n’est pas encore renouvelée. Vous auriez pu me prévenir au lieu de l’arracher comme ça…
Le dentiste (soudain peu amène, alors qu’il avait gardé un ton très courtois, signe d’une grande conscience professionnelle, lors de l’arrachage) ne s’en laissa pas conter.
– Écoutez, monsieur, je ne ferai pas de commentaires sur ce sujet. Dans mon cabinet, ce bridge vous aurait coûté une fortune…
Le scribe serra les dents (aïe). Sortit. Tendit sa carte bleue à la secrétaire médicale, qui lui rendit sa carte vitale, avec un sourire attristé.
– C’est réglé, monsieur. Vous ne devez rien.
– Mais je peux payer ma part ! Je ne fais pas la mendicité.
– Vous n’avez rien à payer.
– Vous êtes certaine ?
– Oui.
Mon beau bridge et moi
Le scribe s’en fut, se demandant s’il ne venait pas de faire un cauchemar, à la manière de ces rêves déplaisants où les dents se déchaussent. Ce n’était hélas que la triste réalité. Il sortit dans la rue, jurant, un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus, soulagé de retrouver l’air subtilement pollué de la capitale.
Trois semaines plus tard, badaboum !
La gencive du scribe enflait. L’une des dents était recouverte aux deux-tiers par une excroissance purulente. Elephant man is back ! Retour au cabinet, avec un autre dentiste, atterré par l’histoire du scribe. Radio. Verdict du praticien, avec un délicieux accent espagnol :
– Votre "technicien de fauteuil" a manifestement négligé de nettoyer les traces de ciment du bridge, ce qui a provoqué une infection. Je vais tenter de réparer tout cela.
Sueurs froides. (Dieu qui n’existez pas, faites qu’on ne soit pas obligé de me re-arracher mon bridge !) Anesthésies, incision de la gencive, piqûres, nettoyage en profondeur par injection de produits désinfectants, points de suture, curetage des onze autres dents. Muchas gracias, docteur, je ne vous embrasse pas, mais le cœur y est !

La morale de cette histoire, c’est qu’au pays des 365 fromages, des 200 familles, des trois millions de sans-dents, du CAC 40, des hommes politiques indigents, irrespectueux des citoyens, gavés de privilège, pour certains corrompus jusqu’à l’os et au-dessus des lois, que le président soit un petit voyou violent, mentalement dérangé, vulgaire, obsédé par le fric, mis en cause dans une dizaine d’affaires judiciaires, vendu au patronat, aux banquiers et aux puissants, ou qu’il soit dirigé par un président "normal" – c’est-à-dire juste vendu aux banquiers, aux puissants et au patronat –, il vaut mieux être riche que pauvre, et que tout s’achète, même le silence (en ce qui me concerne, le prix de mon silence s’élevera à 1.200 euros). Comme le disait de belle façon M. Jean de la Fontaine – que je suis désolé de réveiller dans sa tombe à une heure aussi tardive : Selon que vous serez puissant ou misérable…

* Le hasard de mes pérégrinations de scribe me donnera l’occasion, quelques jours après cette séance de torture psychologique (et les cauchemars gratinés qui s’en suivirent, sur fond de guerre en Syrie, de camps de la mort et autres lieux d’inhumanité) de serrer la main de Mme la ministre de la Santé la pétulante et pétaradante Mme Marisol Touraine (ce texte n’était hélas pas encore écrit), de M. le ministre du Budget, de M. le Directeur de la Sécurité sociale, mais aussi de M. le Directeur général du Travail, de chirurgiens de catastrophe, de médecins, de biologistes, d’épidémiologistes, de chercheurs éminents, de spécialistes des maladies professionnelles, de sociologues, de syndicalistes, d’industriels, de préfets, de généraux, de présidents de tout poil – vous n’imaginez pas ce que ce pays compte de présidents ! –, d’inspecteurs de travail en révolte contre l’ex-ministre Rebsamen, et même… d’un conseiller d’État (aux dents impeccables) obsédé par la casse du Code du travail et la fluidification du dialogue social…
Jean-Jacques Reboux, 23 août 2015
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mardi 4 août 2015

Loup est mort, les privilèges courent toujours, leur abolition est toujours à l'ordre du jour

Le caricaturiste Jean-Jacques Loup vient de mourir à l’âge de 79 ans. C’était un copain de Siné, un dessinateur épatant, qui avait génialement croqué le Minus dans un dessin que j’ai repris en 2010 dans mon bouquin Casse-toi pov' con! signé Fernand Buron (toujours vivant : c'est le privilège des personnages de fiction, ils sont increvables).
 Pour vraiment en finir avec les privilèges, abolis pendant la nuit du 4 août 1789, mais toujours présents, l’association Anticor a lancé une pétition pour les abolir, à signer ICI. À propos, le vicomte de Noailles, en voilà un qui aurait sa place au Panthéon…

jeudi 9 juillet 2015

Le tour de France 2015 passe à Madré

Jadis, comme beaucoup de mômes de nos rudes campagnes, c’est en rêvant de gagner le tour de France que je rejoignais en pédalant l’école communale de Madré (Mayenne), sous l’œil vigilant de ma grande sœur Gisèle, en particulier dans la côte de l’Église, appelée “côte du Bottard” en hommage à Bernard Ringnet, paysan véloce et pressé, un peu dans la lune, dont l’épouse tenait l'un des trois cafés du village et vendait aussi les merveilleux illustrés Akim, Blek le Roc et Cap’tain Swing). Le “Bottard” était connu pour ses réparties fameuses (la plus célèbre étant le tonitruant “J’ai-t-y mangé ma soupe?” qu'il déclama un jour à l’entrée de l'église, avant de redévaler la côte pour vérifier si la tambouille n’était pas en train de s’envoler de la casserole.
C’est donc avec une certaine nostalgie que je vais aller regarder passer les coureurs le 10 juillet, lors de l’étape Livarot-Fougères, puisque le Tour de France va emprunter pendant vingt kilomètres une route que je connais par cœur, pour l'avoir empruntée des centaines de fois. De Couptrain (où habitaient mon parrain, tonton Bernard, et la tante Jeanne) à Saint-Julien-du-Terroux (où j’allais de mauvaise grâce me faire couper les cheveux chez José, qui faisait également office de rebouteux).

Pour fêter ça, j’ai retrouvé une nouvelle, La psychanalyse du cycliste, parue en 1994 dans la revue Le Moule à gaufres. On peut la lire ci-dessous [ou en prenant un raccourci en passant par ici].